Chapitre 15Les débats spéciaux
Adresse en réponse au discours du Trône
Désignation d’une journée d’étude
Bien qu’il n’y ait aucune obligation en vertu du Règlement de débattre du discours du Trône au début d’une nouvelle session, la tradition veut que, lorsque la Chambre revient du Sénat, une journée soit désignée pour discuter du discours1. Le premier ministre présente une motion pour la tenue d’un tel débat plus tard dans la journée ou à la séance suivante de la Chambre2. Aucun préavis n’est requis et, bien qu’elle soit en général proposée et adoptée sans débat, la motion peut faire l’objet d’un débat et d’amendements3.
Lancement du débat
Le jour précisé dans la motion concernant l’étude du discours du Trône, un député de l’arrière-ban du parti ministériel propose qu’une adresse soit envoyée au gouverneur général (ou, selon la personne qui aura prononcé le discours, au souverain ou à l’administrateur du gouvernement du Canada) pour « prier respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’Elle a adressé4 ». En plus de permettre un débat de portée générale sur les politiques annoncées par le gouvernement dans le discours du Trône, cela donne aux députés l’occasion, rarissime, d’aborder tout sujet qui leur tient à cœur5.
De 1867 à 1893, la motion sur l’Adresse en réponse au discours du Trône comportait habituellement plusieurs paragraphes, lesquels étaient examinés séparément. Pris globalement, ces paragraphes formaient une résolution qui était adoptée et renvoyée à un comité restreint. Celui-ci faisait ensuite rapport de l’Adresse à la Chambre, qui, après adoption, se chargeait de la faire grossoyer, c’est-à-dire de la reproduire en gros caractères sur un papier de type parchemin, et de la présenter au gouverneur général. Cette lourde procédure a été modifiée en 1893 lorsque la Chambre a adopté la pratique d’étudier elle-même l’Adresse, qui prend la forme d’une présentation au gouverneur général6. Ce n’est qu’en 1903 que la motion sur l’Adresse en réponse a été ramenée à un court paragraphe de remerciements pour le discours du Trône7.
Après le discours du motionnaire, un deuxième député de l’arrière-ban du parti ministériel8 (la plupart du temps parlant la langue officielle qui n’est pas celle du motionnaire) obtient la parole pour traiter de la motion et l’appuyer. D’habitude, le motionnaire et l’appuyeur sont choisis parmi les députés élus le plus récemment9. Leurs interventions sont suivies par une période de questions et d’observations d’au plus 10 minutes10. Lorsque l’appuyeur a terminé son intervention et répondu aux questions et observations, le chef de l’Opposition propose normalement l’ajournement du débat11. Habituellement, le premier ministre ou un autre ministre — le leader parlementaire du gouvernement ou le président du Conseil privé le plus souvent — propose ensuite l’ajournement de la Chambre12.
Reprise du débat sur l’Adresse
Le Règlement prévoit six jours additionnels de débat sur la motion et sur tout amendement qui y est proposé13. Ces journées sont désignées par un ministre, habituellement le leader parlementaire du gouvernement, et ne sont pas nécessairement consécutives. La Chambre aborde généralement ce débat en début de session puisqu’il n’y a alors que peu ou pas du tout d’affaires émanant du gouvernement inscrites au Feuilleton. Dans les jours qui suivent, le gouvernement mettra généralement quelques projets de loi ou motions en avis qui permettront d’alimenter les travaux de la Chambre ultérieurement.
Le fait que le débat sur l’Adresse ne soit pas encore complété ou que la Chambre ne se soit pas encore prononcée sur celle-ci n’empêche pas la Chambre d’aborder d’autres questions et de prendre des décisions14. La première lecture, à chaque début de session, du projet de loi fictif C-1, Loi concernant la prestation de serments d’office, vise d’ailleurs à affirmer l’indépendance de la Chambre, son droit de choisir ses propres affaires et de délibérer comme elle l’entend, nonobstant les raisons de sa convocation exposées dans le discours du Trône15.
Depuis 1955, le Règlement dispose que, lorsque la reprise du débat sur la motion concernant l’Adresse figure à l’ordre du jour, la reprise a priorité sur tous les autres travaux de la Chambre, sauf les Affaires courantes, les Déclarations de députés, les Questions orales16 et les Affaires émanant des députés17.
Règles du débat sur l’Adresse
Journée des chefs
Le premier jour de la reprise du débat est appelé la « journée des chefs ». Selon la tradition, le chef de l’Opposition parle le premier et propose un amendement à la motion principale. En temps normal, le premier ministre prend ensuite la parole, suivi du chef du deuxième parti de l’opposition en importance. Ce dernier peut alors proposer un sous-amendement. La parole est ensuite donnée à tour de rôle aux autres chefs des partis reconnus officiellement à la Chambre18. Les chefs de partis qui détiennent moins de 12 sièges n’obtiennent pas automatiquement la parole19.
Bien que ce soit l’ordre traditionnel, aucune règle précise ne fixe l’enchaînement dans lequel les chefs de parti prennent la parole lors du débat sur l’Adresse. Ainsi, au cours de ce débat en 1989, le chef du deuxième parti de l’opposition en importance a pris la parole après le chef de l’Opposition, tandis que le premier ministre a prononcé son discours le lendemain de la « journée des chefs20 ». Lorsque, en 1991, le premier ministre ne s’est pas levé pour prendre la parole après le discours du chef de l’Opposition, le leader parlementaire de l’Opposition a invoqué le Règlement. Le Président a décrété que, à défaut de disposition en ce sens dans le Règlement, les députés ne sont pas tenus de respecter un ordre d’intervention particulier21. Le lendemain, le premier ministre s’est adressé à la Chambre, suivi immédiatement de la chef du deuxième parti de l’opposition en importance.
Durée du débat sur l’Adresse
Jusqu’en 1955, la durée du débat sur l’Adresse en réponse n’était limitée d’aucune façon ; le débat a ainsi varié d’un jour au nombre record de 2822. La Chambre l’a alors limité pour la première fois en acceptant, selon les recommandations d’un comité spécial sur la procédure, de le restreindre à 10 jours et d’ajouter des séances en matinée pour la durée du débat (ce qui ne faisait pas alors partie des séances normales)23. Cette durée a ensuite été ramenée à huit jours en 196024 et le Règlement a de nouveau été modifié en 1991 pour le limiter au maximum actuel de six jours25.
À plusieurs reprises, cependant, la Chambre s’est prononcée sur la motion même si le débat n’avait pas duré le nombre maximum de jours prévus par le Règlement26. Il est aussi arrivé qu’une prorogation ou une dissolution vienne interrompre le débat27.
Comme l’indique le Règlement, toute journée inutilisée peut être ajoutée, si la Chambre donne son aval, au nombre des jours désignés de la période des subsides dont ils font partie. Cette règle n’a toutefois jamais été appliquée depuis son entrée en vigueur en 196828.
Durée des interventions lors du débat sur l’Adresse
À l’exception du premier ministre et du chef de l’Opposition, qui ont un temps de parole illimité, les députés peuvent parler pendant au plus 20 minutes lors de leurs interventions dans le cadre du débat29. Dans tous les cas, une période de questions et d’observations d’au plus 10 minutes peut avoir lieu après chaque intervention30. Les parlementaires dont les discours sont limités à un maximum de 20 minutes peuvent par ailleurs informer la présidence qu’ils souhaitent partager leur temps d’intervention avec un collègue, de leur parti ou d’un autre. Pendant le débat, un whip de parti peut aussi signaler que des députés de son parti comptent partager leur temps de parole de 20 minutes31. Dans ces cas, les députés disposent chacun de 10 minutes et leurs interventions peuvent être suivies d’une période de questions et d’observations d’au plus 5 minutes32.
Tout député peut intervenir dans ce débat. L’ordre des intervenants suit habituellement celui établi en fonction de la représentation des partis à la Chambre. Dans le but de permettre au plus grand nombre possible de députés de prendre la parole, la Chambre a parfois réduit soit la durée des interventions, soit celle de la période de questions et d’observations, et ce, lorsqu’elle n’a pas complètement supprimé cette dernière33.
Mise aux voix des amendements et conclusion du débat sur l’Adresse
Aux premiers temps de la Confédération, certains estimaient qu’on ne devait pas chercher à modifier la motion sur l’Adresse en réponse au discours du Trône34. En 1873, les premiers amendements à la motion sur l’Adresse ont été proposés lorsqu’on a formulé une motion de blâme envers le gouvernement pour sa conduite dans le « scandale du Pacifique ». Bien qu’un sous-amendement l’ait par la suite transformée en vote de confiance à l’égard du gouvernement35, le premier ministre a démissionné, le chef de l’Opposition a été invité à former le gouvernement et le Parlement a été prorogé, et ce, avant que les amendements ne soient mis aux voix. Des amendements ont de nouveau été proposés en 1893 et en 189936. Au cours des 40 années qui ont suivi, des amendements ont souvent été présentés, mais pas de façon systématique. Ce n’est qu’à partir de la Seconde Guerre mondiale que la pratique de proposer des amendements à la motion sur l’Adresse s’est enracinée.
Selon la pratique récente, le chef de l’Opposition propose un amendement le premier jour de la reprise du débat. En temps normal, un sous-amendement est ensuite proposé par le chef du deuxième parti de l’opposition en importance. Il peut arriver cependant qu’un autre député de ce parti s’en charge37.
Étant donné la nature générale de l’Adresse, la règle de la pertinence ne s’applique pas rigoureusement à l’amendement proposé (contrairement aux sous-amendements). Des précédents indiquent toutefois qu’un amendement peut ajouter un élément distinct, tandis qu’un sous-amendement doit, pour être pertinent, viser l’amendement sans rien soulever de nouveau38.
Un sous-amendement qui aurait pour résultat, en y ajoutant des mots, de faire de l’amendement une motion de confiance envers l’Opposition officielle a été jugé irrecevable parce que « les votes de confiance ne sont dirigés que vers le gouvernement du jour39 ». Le Président a par ailleurs jugé irrecevables des amendements qui ne lui semblaient pas contester directement les politiques gouvernementales40 ou qui, à son avis, équivalaient à un ordre donné à la Chambre d’augmenter les dépenses du gouvernement, ce qui aurait alors exigé une recommandation royale41. Un amendement semblable à un autre sur lequel la Chambre s’était déjà prononcée au cours du débat a également été rejeté42.
Jusqu’en 1955, le Règlement ne régissait d’aucune façon la présentation des motions d’amendement ou leur mise aux voix. Comme pour tout amendement proposé à une motion, la question n’était mise aux voix que lorsque plus un seul député ne se levait pour demander la parole. Un nouvel article fixant la façon de disposer des propositions d’amendement a alors été adopté43.
Ainsi, la Chambre doit se prononcer sur le premier sous-amendement le deuxième jour désigné ; le Président interrompt alors les délibérations 15 minutes avant la fin de la période prévue pour le débat pour mettre aux voix le sous-amendement44. Il est permis de proposer d’autres sous-amendements le troisième ou le quatrième jour45. Le quatrième jour, le Président interrompt le débat 15 minutes46 avant l’expiration de la période prévue pour le débat et met aux voix tout amendement ou sous-amendement à l’étude47. Aucun autre amendement à la motion principale n’est autorisé les cinquième et sixième jours48. À moins que le débat ne soit déjà terminé, le sixième jour, le Président interrompt les délibérations 15 minutes avant la fin de la période prévue pour le débat pour mettre aux voix toutes les questions nécessaires afin de pouvoir statuer sur la motion principale49.
L’Adresse en réponse au discours du Trône a été modifiée par un amendement en six occasions seulement50. Dans les deux premiers cas, l’amendement d’un député de l’opposition a été modifié par un sous-amendement proposé par un député du parti ministériel51.
Dans les deux cas suivants, la Chambre s’est montrée en faveur du sous-amendement proposé par le deuxième parti de l’opposition et a adopté l’amendement et la motion principale, tels qu’amendés. Dans les cas récents, la Chambre a adopté l’amendement proposé par l’Opposition officielle puis la motion principale, telle qu’amendée52. L’adoption de ces amendements n’est pas venue remettre en question la confiance de la Chambre envers les gouvernements en place53 ; ces derniers avaient d’ailleurs donné leur accord à ces modifications.
Par ailleurs, l’Adresse adoptée en 2004 à l’occasion de la première session de la 38e législature demandait au gouvernement d’envisager l’opportunité de confier un ordre de renvoi à trois comités permanents afin d’obtenir leurs recommandations sur des sujets donnés. Cette suggestion fut adoptée un peu plus tard par la Chambre dans le cadre de trois ordres spéciaux concernant chacun de ces comités54.
Grossoiement de l’Adresse
Immédiatement après l’adoption de la motion sur l’Adresse en réponse au discours du Trône, la Chambre adopte, sans débat ni amendement, une motion priant le Président de la Chambre des communes, une fois l’Adresse grossoyée, c’est-à-dire reproduite en gros caractères sur un papier de type parchemin, de la présenter en personne au gouverneur général55. Habituellement, le Président est accompagné du Président du Sénat, de quelques députés invités (dont le motionnaire et l’appuyeur de l’Adresse ainsi que des leaders parlementaires et des whips des différents partis) et des Greffiers des deux chambres.